Legio Secunda Britannica

Après plus d’un millier de figurines peintes, des dizaines de légions, auxiliats et vexillations reconstitués, mon projet a rencontré un nouvel adversaire : l’uniformité.

Depuis le début, je n’ai utilisé les sets que de 3 fabricants : Hät, Italeri et MiniArt. Et encore, les deux derniers ne proposent que trois références…à eux deux. Heureusement, Hät industries propose pas moins de six confections différentes : infanterie lourde, légère, de trait, cavalerie cataphractaire, légère et « moyenne ». En rajoutant le set de transport et de valets de strelets (valable pour tout l’antiquité romaine, tardive ou pas), ça reste assez peu quand on a pour but de peindre plusieurs milliers de miniatures. D’autant qu’à l’échelle 1/72 (ou 20mm), le manque de diversité peut vite apparaître.

britones legio
Quelqu’un a envie de se frotter aux Secundani Britones, les terribles légionnaires bretons de l’Empire ? Plutôt badass les gars !

Au début, j’ai amené de la variété en mélangeant les sets qui pouvaient l’être, en respectant deux principes : la véracité historique et… la taille des petits soldats !

Malheureusement, les Hät sont plus petits que les italeri et les MiniArt. Oh, pas de beaucoup, mais suffisamment pour le voir.  En mélangeant les trois confections d’infanterie Hät, j’ai pu faire des légions et des auxiliats bien équilibrés, comme les Mattiaires, ou les Mattiaques seniors et juniors .

Mais ça ne suffisait pas. Alors j’ai entrepris de me lancer dans des conversions. D’abord pour dépeindre des irréguliers, comme les gardes du corps privés que sont les Bucellaires, version luxe, ou les burgarii, soldats de second rang quasiment laissés à eux-mêmes dans leur avant-postes perdus sur les frontières les plus rudes.

centurion romain bataille
Le centurion romain commande ses hommes au plus fort de la bataille. Et les bretons tiennent la ligne !

Les conversions, ça commence par échanger des têtes, modifier la position des bras, puis on s’attaque aux armes que l’on change, les boucliers que l’on déplace, les montures qui sont réaffectées, et puis ça ne suffit plus, on commence à rajouter des manteaux, à remodeler les membres. Mais la conversion de figurines, ça demande de l’équipement, du temps et de la patience. N’ayant pas du matériel de pro ni beaucoup de temps, j’ai fait ce que j’ai pu. ça a donné des unités de limitanei comme les equites crispiani ou les milites dalmati.

Mais ça reste frustrant, je voulais plus, je voulais mieux. Le graal, c’est évidemment de créer ses propres figurines. Avoir des petits soldats dont la véracité historique est parfaite, dans des poses plus dynamiques ou juste plus humaines que la plupart de celles, assez standardisées, des fabricants.

Il y a encore quelques années, il m’aurait fallu des talents de sculpteur et des yeux d’aigle. Et ça m’aurait pris un temps fabuleux. Des heures et des heures, pour une figurine. Qui aurait servi pour fabriquer un moule, dont l’usage aurait permis d’enfin fabriquer sa miniature, sachant que pour le moule et la fabrication j’aurais dû passer par un fabricant, qui m’aurait sans doute fait payer une fortune.

La révolution de l’imprimante 3D pour les figurines au 1/72

Mais la technologie, qui a tant changé notre vie, va aussi révolutionner notre hobby : les imprimantes 3D et les logiciels de conception assistée par ordinateur vont nous permettre de concevoir et produire tous les soldats dont on a besoin !

petit soldat imprimé en 3D
ma plus grande fierté de tout ce projet : créer soi-même ses figurines au 1/72, en étant le plus historiquement juste !

Enfin je m’emballe sans doute un peu : d’abord parce que les machines performantes ne se trouvent pas sous le sabot d’un cheval. Et ensuite il faut savoir les faire tourner ! D’autres m’objecteront qu’il faut faire plein de recherches. C’est vrai. Mais j’adore ça !!

Ma chance a été de débusquer Sébastien. Il est à Marseille, je suis à Paris, mais ça ne pose pas le moindre problème : à l’aide d’un logiciel de modélisation 3D appliqué aux figures humaines, il conçoit des figurines à l’échelle 1/72, qui sont ensuite imprimées par…son imprimante, dans laquelle il injecte une matière première particulière.

Je ne veux pas avoir l’air de faire de la pub, mais enfin quand même : si c’est le genre de prestation que vous recherchez, foncez !! Sébastien est sympa (c’est bête mais ça compte), pro (donne des nouvelles, est réactif, comprends les besoins) et surtout il bosse SUPER bien !

 

La seule limite, c’est de savoir ce que l’on veut. Si le brief initial n’est pas précis, j’imagine que ça peut traîner en longueur, tout en tâtonnements. Mais je savais précisément ce que je voulais : le nombre de légionnaires, d’officiers ou d’archers, leur pose, leur équipement etc etc…

 

Pour chaque pose j’ai fait un document reprenant la dynamique souhaitée (avec des illustrations glanées un peu partout sur le web), l’équipement désiré (des armes à la tunique, au type de casque etc..), bref j’ai pu complètement choisir à quoi ressemblerait ma figurine : LE PIED. Et là, j’ai puisé mon inspiration à toutes les sources : dessins de Giovanni Rava, diptyque de Stilicon, et bien d’autres encore, il y a de quoi faire !

 

La mythique légion de la Secunda Britannica

Je voulais une légion septentrionale, venant du froid  : la secunda britannica. Les secundani Britones (les « bretons de la deuxième », on pourrait traduire ainsi leur surnom), sont évidemment une fraction de la II légion Augusta. Cette légion a eu une histoire plusieurs fois centenaire : créée en -43 par consul Gaius Vibius Pansa pour le futur Auguste (d’où son nom) lors de la guerre civile en préparation, elle connut ensuite une longue série de guerres contre les barbares, d’abord les Cantabres d’Ibérie, puis les Germains du Rhin, notamment les Chattes.

 

Mais l’histoire de la II Légion Auguste est surtout liée à la Bretagne : Elle participa à sa conquête et à sa soumission, avant de se muer en entreprise de construction militaire puisqu’on lui doit la forteresse d’Isca Silurum (Caerléon) et une partie du mur d’Hadrien, puis du mur D’Antonin. Elle n’en délaissa pas moins l’activité martiale puisqu’elle fut par exemple le fer de lance de la campagne « écossaise » de Septime Sévère de 208-209 contre les insaisissables Calédoniens,  servit à mater une rébellion en Armorique ou contribua à une campagne de grand style en Pannonie.

 

Lors de l’éphémère usurpation de Carausius, maitre pendant une dizaine d’années de la Bretagne et d’une portion des côtes du nord de la Gaule, l’usurpateur battit monnaie avec son portrait…et l’effigie de la deuxième légion, le capricorne. Preuve de l’immense importance de l’unité dans la survie de la Bretagne rebelle : aucun doute qu’elle devait être la pièce maitresse de la domination du Ménape sur l’île.

Au début du IVème siècle, la légio II augusta perdit son statut privilégié et son rôle de réserve stratégique du diocèse de Bretagne pour prendre une place plus modeste (mais toujours d’importance) dans le dispositif défensif côtier, en établissant ses quartiers dans le fort de Rutupiae (ou Rutupis) dans la région du Kent. La notitia dignitatum cite une Legio II augusta dans ce fort, sous le commandement du Comes litoris Saxonici per Britanniam (Comte du littoral saxon en Bretagne), présence attestée par l’archéologie. Les fouilles ont trouvé de nombreuses pièces, datant d’environ 400, ce qui corrobore totalement ce document (une fois de plus…). La solde des légionnaires était donc versée au fort toujours à cette époque.

via romana diorama
Stilicon fit revenir de la loitaine Bretagne la terrible légion des secundani britones : il en avait besoin pour chasser le Goth Alaric d’Italie

Par contre, ces mêmes fouilles ont démontré que les quartiers à disposition des légionnaires étaient à peine d’un dixième de la taille de ceux dont ils bénéficiaient dans leur forteresse d’Isca silurum un siècle avant. On sait que les réformes de Dioclétien, puis de Constantin, ont multiplié les légions tout en les faisant « maigrir ». De 5500 hommes à la haute époque, une légion ne devait comprendre pas plus de 1000 légionnaires à l’orée du Vème siècle.

officiers romains petits soldats
Les officiers de la Légion ont été prévenus : une troupe de Goths s’est dangereusement rapprochée de leurs cantonnements.

Cela dit, la majeure partie des créations de légions n’étaient en réalité que des subdivisions, ce que les Romains appelaient des vexillations : une partie de la légion, quelques dizaines de cohortes, étaient choisies pour aller rejoindre des corps expéditionnaires loin de leur base. Mais le reste de l’unité restait lui dans ses quartiers. Avec les incessants conflits que l’Empire devait gérer, certaines vexillations ne revoyaient jamais leur partie d’origine, et petit à petit furent considérées comme des légions à part entière dans leur nouvelle affectation. Ces morcellements eurent des conséquences importantes pour les légionnaires : certaines vexillations obtinrent le statut comitatensis, voire palatinae. Légions d’élite, elles avaient le droit au haut du panier en terme de recrutement, et surtout à une solde et un équipement meilleur, sans parler du prestige qui leur était attaché.

diorama d'un combat de petits soldats romains à l'échelle 1/72
les Goths arrivent… Les deux lignes de combattants se jaugent, s’invectivent… Les nerfs se tendent. Mais la célèbre discipline romaine maintient les légionnaire en une impeccable ligne qui ne bouge pas d’un pouce

Par contre, les légions ou du moins la partie qui n’évolua pas statutairement, furent classées limitanea, puis ripariensis, légion frontalière, au prestige et à la solde inférieurs.

Est-ce qui est arrivé à la IIe Légion Augusta ? Dans la notitia dignitatum, on retrouve en effet :

  • un Praefectus legionis secundae Augustae , à Rutupis, donc, sous les ordres du Comte du rivage saxon.
  • une légion appelée Secundani iuniores aux ordres du Comes Britanniae
  • et enfin notre Secunda Britannica, aux ordres de Magister equitum per Gallias, la seule qui soit basée en Gaule.

Beaucoup ont voulu y voir la même unité, ce que je ne crois pas. A mon avis, la Legio II Augusta a été divisée, avec le temps, en 3 unités différentes. Et la notitia, compilation amendée avec le temps, sans toujours que les données précédentes soient effacées, donne à voir les différentes étapes.

Première partie de la vénérable deuxième légion Auguste, l’unité ripariensis aux ordres de son préfet et basée à Rutupis. Elle a du rester en Bretagne au moins jusqu’en 407, année ou Constantin III, usurpateur proclamé justement en Bretagne, a sans doute emmené avec lui les dernières troupes romaines restées sur place pour faire face à l’invasion barbare en Gaule.

 

Par contre, les secundani iuniores et la secunda britannica sont pour moi la même unité, et ce pour deux raisons :

A la fin de la présence militaire romaine en Bretagne, toutes les troupes « de choc » furent concentrées sous le commandement du Comes per Britannias. Les secundani iuniores devaient être une vexillation dont le qualificatif de junior fait à minima une unité comitatensis, aucune unité frontalière n’ayant fait l’objet de subdivision.

Mais nous savons aussi par Claudien, le poète officiel de Stilicon, que celui-ci rappela les meilleures troupes de Gaule et de Bretagne au moment de l’invasion d’Alaric en 402. Le poète cité nommément « la légion chargée de la défense de la Bretagne », qui parait-il effrayait ses adversaires par sa valeur combattante. Cette légion ne peut être que la IIème, mais sans doute pas la partie déclassée ! Elle prit d’ailleurs part à la victoire de Pollentia contre Alaric, et sans doute à celle de Vérone l’année suivante, permettant à Stilicon de chasser l’envahisseur d’Italie.

archer 3D printed with bowstring
Les archers commencent à arroser les Goths depuis la colline ou ils se sont postés. – vous noterez que l’impression 3D permet de réaliser le cordage des arcs !

Dernier point, les secundani iuniores et la secunda britannica sont la même unité parce que nous connaissons la partie senior de cette légion (ma 3ème subdivision !) : en Illyrie est stationnée au même moment la légion des Britones seniores. Classée palatine, ce qui est étrange à bien des égards : l’armée de l’ouest a six légions palatines (comme les Joviens, les Herculiens ou les lanciarii sabarienses), l’armée orientale de même. Les Britones rompent cette symétrie : on peut en conclure à une promotion tardive, voire très tardive.

diorama Pollentio
A l’image de la bataille de Pollentia, la valeur romaine permit à Stilicon de vaincre les Goths d’Alaric

On peut donc imaginer le scénario suivant : la légion II à été divisée en 3. Une partie limitanei qui est restée en Angleterre jusqu’à son abandon par l’armée impériale, et deux vexillations devenues légions, une senior et une junior, rappelées des années avant sur le continent de manière définitive et qui au gré de leurs affectations finirent par se fixer, une en Gaule, la secunda Britannica, une en Illyrie, les Britones seniores. D’ailleurs, les deux ont un emblème de bouclier similaire, même s’il n’est pas exactement le même.

Revenons  à mes féroces légionnaires bretons. J’ai donc voulu représenter la secunda Britannica, basée en Gaule sur la frontière rhénane. Aucun set d’aucun fabricant ne me convenant, il était temps de les produire sur mesure, grâce à Sébastien.

diorama 20mm
un légionnaire breton s’est retrouvé isolé de son contubernium : en position défensive, il attend l’assaut des trois goths qui l’entourent

La conception des mes figurines de légionnaires tardifs au 1/72

En ce qui concerne les poses elles-mêmes, il fallait concilier plusieurs impératifs :

  • la véracité de la dynamique : un type qui lance un dard à pieds joints, c’est pas très sérieux.
  • l’originalité de la pose : ne pas refaire les poses déjà réalisées par les manufactures historiques.
  • Penser diorama : réaliser des poses qui peuvent dialoguer entre elles. Que ce soit dans des scénettes de la « vie quotidienne » (monter la garde, discuter, épier l’adversaire…) ou dans une logique de déploiement de l’unité au combat (mode phalangique avec soldats côte-à-côte, bouclier en avant par exemple).
  • S’inspirer des représentations de l’époque (les diptyques bas-romain par exemple), ou plus simplement de l’œuvre d’illustrateurs comme Giovanni Rava (voir les images plus haut)

Dans leur conception, je ne voulais pas seulement des poses plus originales. Je voulais aussi présenter des hommes habillés pour l’hiver, avec un équipement lourd.

Par exemple, je voulais un modèle précis de casque pour les soldats qui en seraient équipés : le modèle dit de burgh castle, daté du début du IVème siècle et précisément trouvé en Angleterre. Au-delà de ses propriétés esthétiques (il faut bien se faire plaisir !), sa véracité historique est indéniable… et il se marie parfaitement aux trois types que je souhaite : sans crête, avec crête métallique ou ornementale.

 

Les hommes non équipés de casque auraient la tête revêtue « d’un bonnet pannonien » : il s’agit d’une toque de fourrure (ou de feutre pour la version low-cost) plate recouvrant le crâne jusqu’aux tempes. C’est le couvre-chef classique du militaire romain du bas-empire, adopté jusqu’aux empereurs. En témoigne la statue des quatre Tétrarques, les quatre empereurs romains régnant de concert sous l’autorité du plus âgé, Dioclétien. Réalisée vers l’an 300, elle montre les quatre homme coiffés du bonnet Pannonien, eux-même étant originaires de la région.

bonnet pannonien tetrarque chapeau romain
Détail de la statue des quatre Tétrarques : ils portent le bonnet Pannonien, chapeau caractéristique des militaires romains de l’époque tardive.

Côté protection corporelle,  les hommes de troupes et les sous officiers seront équipés de la lorica hamata, la cotte de maille romaine tardive. Les archers n’en seront pas revêtus (ni même d’un casque d’ailleurs), alors que les officiers supérieurs, privilège du rang, arboreront une superbe musculata, armure aux formes de torse bodybuildé.

 

En ce qui concerne les vêtements de mes légionnaires, tenue d’hiver pour tous : tunique, braies, chaussures de cuir et cape enveloppante. Un équipement qui porte la marque de l’influence celte et germaine. Fini la jupette, les légionnaires ont adopté les braies (pantalons épais) des barbares qu’ils combattaient.

drapé cape figurine
le drapé des capes me rend assez fier par son réalisme : l’impression 3D des figurines au 1/72e, c’est validé !

Pour finir, quelques problèmes (quand même) rencontrés : la matière est très facilement cassable (ne jamais la laisser au soleil non peinte sous peine de la retrouver fragile comme du verre !!) : je ne compte pas le nombre de lances brisées (80%), d’épées devenus des moignons etc… Il faudra sans doute prévoir une taille plus large des armes, peut-être au mépris du strict réalisme, ou ne laisser que des trous pour ensuite rajouter des armes provenant d’autres sets en plastique mou.

Aussi bizarre que ça puisse paraître, la gravure est inégale : certaines figurines ressortent divinement, à des niveaux de détail au moins digne des fabricants professionnels (je suis par exemple capable de produire des arcs avec leurs cordes, ce qui est rarissime chez les manufacturiers, et inconnu pour la période du bas-empire), alors que d’autres sont plus grossières, comme on peut le voir sur les photos.

La prochaine série, pour une autre légion, sera l’occasion de corriger un peu le tir !

ça a d’ailleurs été le cas, avec ma schole Palatine, qui a réglé une partie de ces problèmes.